Le bureau des Légendes






Eric Rochant aime bien les histoires d’amour. Il aime aussi les histoires d’espionnage, le jeu des ombres et celui des apparences. Mais ce qu’il aime surtout, c’est ouvrir ces petites boîtes à secrets qui renferment l’existence de chacun de nous. Il y a une forme de continuité entre Möbius (2013), le film mettant en scène Jean Dujardin et Cécile de France, et Le Bureau des Légendes, nouvelle création originale de Canal+ dont la diffusion débute lundi pour dix épisodes de 52 minutes. Dans un récent entretien, Mathieu Kassovitz, qui tient le rôle principal, estimait que cette première saison était « à la hauteur des productions américaines« . Après avoir vu les sept premiers chapitres, on a envie de le croire.


Le Bureau des Légendes se tient dans les coulisses du renseignement français. Il est cet endroit où l’on invente des vies, on fabrique des existences, on construit des passés, on forge des personnalités et on met au point des manipulations. Il est la partie invisible de la partie cachée des services secrets. Sans lui rien ne pourrait se faire et évoquer son existence, c’est un peu comme examiner un cas de schizophrénie collective.
La fascination d’Eric Rochant pour cet univers est évidente dès le premier épisode. On est immergé dans ce département de la DGSE presque sans transition. On s’installe dans les combles des bâtiments du boulevard Mortier avec une facilité étonnante. Ici, pas de surenchère de technologies, d’écrans plasma, de flux vidéo retransmis par satellite. Pas d’armée d’opérateurs pianotant frénétiquement sur des ordinateurs. Pas d’agents surdoués capables de pirater n’importe quel serveur à partir d’un laptop installé dans un garage clandestin.


Il y a une sorte de banalité de l’endroit qui pourrait paraître déconcertante, quand on a été nourri aux séries américaines, et qui se révèle rassurante et crédible. Il règne une atmosphère presque paisible malgré une crise en cours. On semble faire les choses « à l’ancienne », en comptant sur les hommes plus que sur les machines. La mise en place rappelle que la collecte d’information est d’abord une question humaine.


On pénètre dans cet univers à la faveur du retour de Guillaume Debailly (Mathieu Kassovitz), alias « Malotru » (le surnom est l’exact contraire du personnage) après six années de mission secrète en Syrie et en Jordanie. A Paris, il redevient Paul Lefebvre, un petit prof de littérature qui enseignait à Damas. Il est vaguement tenté par l’écriture d’un roman. C’est sa légende.
Ce que ne prévoyait pas son histoire est qu’il retrouve en France son ancienne maîtresse Nadia qu’il avait quittée avant de partir du Proche-Orient. Il n’a jamais caché cette relation lors de ses discussions régulières par visioconférence avec Marie-Jeanne, sa référente au sein du bureau. Il a toujours été transparent sur le sujet, mais a peut-être minoré l’importance de cette relation. A moins qu’il n’est surestimé sa capacité à séparer son activité et ses sentiments.
La vie de « Malotru » est à la fois pleine et vide. Il est un personnage essentiel du service, une légende chez les légendes, mais il est un homme seul. Pas vraiment proche de sa fille et pas vraiment proche de son ex-femme. La seule personne qui le connaît sans le connaître tout en le connaissant est Nadia.
Des personnages féminins forts

Pour mettre en perspective cette situation, est introduit un personnage secondaire essentiel, celui de Marina Loiseau (Sara Giraudeau)


qui tente d’intégrer le bureau avec en point de mire une mission en Iran. Son parcours du combattant est supervisé par Marie-Jeanne, celle qui a suivi « Malotru » pendant des années. A travers les épreuves que traverse la jeune femme, on imagine quelles furent en d’autres temps celles de l’agent, les qualités qu’il a dû déployer.


Les deux personnages se répondent à des années de distance: la jeune femme fait preuve d’une détermination, d’une capacité d’adaptation et d’une force de caractère qui contrastent avec les failles et les doutes qui apparaissent peu à peu chez Paul Lefebvre. Ses talents d’improvisation lui permettent de se tirer de situations délicates et viennent illustrer son dévouement et sa loyauté.
Les personnages féminins sont l’une des grandes réussites de cette première saison. Ils sont modelés avec précision mais aussi avec une grande variété alors qu’ils évoluent tous dans un même milieu. Ils apparaissent souvent plus forts que leurs homologues masculins, évacuant d’un coup l’a priori d’un univers machiste.
Jean-Pierre Darroussin est d’ailleurs excellent en patron du bureau capable de douter et ayant besoin de conseils.


L’un des bonnes idées est de nous faire découvrir le bureau au travers du regard du docteur Balmes (Léa Drucker),



psychiatre spécialisée dans l’analyse des comportements, qui va ausculter le service et ses différents membres. C’est à une évaluation quasiment clinique de chaque protagoniste que l’on assiste, renforçant encore le caractère humain de l’histoire. Tout repose sur les personnalités des uns et des autres, sur leur capacité à se comprendre et à se faire confiance, sur leur capacité à gérer leurs sentiments (à contrôler leur humanité) pour les mettre de côté afin d’obtenir des informations.
La série obéit bien sûr à la nécessité d’être en prise directe avec l’actualité. On parle des relations avec les services algériens, mais aussi de la Syrie de Bachar al Assad et de l’opposition syrienne en exil, mais aussi de la Russie qui a toujours son mot à dire dans ce pays. L’Iran et son programme nucléaire se tiennent en toile de fond pour confirmer le sentiment que la situation au Proche-Orient est un tout complexe qui ne peut pas être dissocié comme le fait habituellement le traitement de l’actualité.


La série était en tournage lorsque se sont produits les attentats de janvier à Paris. Comme le dit Mathieu Kassovitz, le sentiment était de voir la réalité rattraper la fiction. La question de cette collecte du renseignement pour éviter de telles tragédies se posait brusquement avec une acuité accrue.


La grande réussite du Bureau des Légendes est, au-delà de la maîtrise du sujet, de l’interprétation offerte par les acteurs (Kassovitz est parfait dans un registre sombre, mêlant force de caractère et faiblesse des sentiments), de la construction rigoureuse des arches narratives et de la gestion des rebondissements, la grande réussite est d’avoir proposé une série d’espionnage avec un ton différent et crédible: sans ostentation, sans excès de démonstration, sans pathos et sans morale.
Le Monde

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